Le p'tit gars

Mes souvenirs d'école à moi, c'est d'abord un drôle de « p'tit gars » !

Mais d'abord, faut que je vous raconte : dans la classe, nous avions un vrai cancre, un spécialiste des zéros. Gentil comme tout, mais incapable d'apprendre. Bien sûr, ce n'était pas de sa faute, et nous l'aimions bien. Et puis aussi, grâce à lui, nous ne pouvions jamais être dernier de la classe ! Un jour où il était interrogé et où il ne savait pas plus sa leçon que d'habitude, il a eu un éclair de génie.

Au lieu de baisser les yeux, penaud, comme il le faisait toujours dans ces cas-là, il a lentement tourné la tête et a fixé d'un air rêveur le proverbe qui, depuis toujours, trônait au-dessus du tableau noir : « La parole est d'argent, mais le silence est d'or ». Décontenancé, le maître l'a renvoyé à sa place sans le noter... et nous avons été quelques-uns à sortir notre mouchoir pour pouvoir pouffer sans être pris !

Son meilleur ami, le « p'tit gars » dirons-nous, n'avait rien d'un cancre, lui, même s'il préférait une place bien éloignée du maître, histoire de se faire oublier. Les capacités du p'tit gars dépassaient sûrement celles de ses camarades de classe, mais il était du genre à s'en moquer, et ne faisait que le strict minimum. Il suffisait qu'un autre élève soit interrogé sur la récitation qu'il fallait avoir apprise, et qu'il s'était bien gardé de relire depuis que le maître l'avait dictée, et il la récitait, avec le ton et sans hésitation. Personne, bien sûr, ne connaissait ce secret, même pas son meilleur ami, et encore moins ses parents...

Alors, quand il ramenait son carnet avec les notes et appréciations du mois, on pouvait lire presque à chaque fois : « peut mieux faire », « ah, s'il voulait s'en donner la peine ! » - je le sais parce que le maître faisait aussi ces commentaires en nous distribuant les carnets - mais pour lui, peu importait. Il arrivait à apprendre, avait des notes correctes, finissait souvent l'année avec le prix d'excellence, malgré son manque d'enthousiasme. Alors, à quoi bon se fatiguer ?

Les punitions pour mauvaise conduite, il les accumulait ! Il devait être le premier là aussi ! Mieux que le cancre, c'est dire ! L'obéissance, ce n'était pas pour lui... Si vous l'aviez vu rêver, pendant que nous nous creusions la tête et mangions notre porte-plume, en faisant nos exercices ! Lui était ailleurs... mais il arrivait quand même à avoir de bonnes notes ! C'était rageant pour nous.

Quand nous étions en toute petite classe, la maîtresse s'arrachait les cheveux ! Tout à coup, ça le prenait : il refusait de faire les exercices de calcul ou la dictée, disant que ce n'était pas le bon moment. Quelques instants plus tard, il refusait de sortir en récréation, puisqu'il n'avait pas encore fait son travail... Pourtant, il semblait préférer, et de loin, les courses et les jeux de ballons, dans la cour et surtout dans les champs ou dans la colline autour du village. La liberté, les rires, le rêve : tout ça, c'était lui... Tantôt seul, il partageait cependant volontiers les jeux de ses camarades garçons, et n'était pas le dernier à faire des bêtises.

Bref, un drôle de numéro, ce p'tit gars !

Un jour, bravant l'interdiction de se promener dans la classe, il s'est aventuré jusqu'à rejoindre un camarade pour l'aider à faire son exercice, ou bien parler de leur prochaine partie de ballon - on ne l'a jamais su - et s'est penché pour s'accouder au bureau du copain. Alors que personne ne s'y attendait, le maître, arrivant derrière lui comme si de rien n'était, lui a mis un coup de pied aux fesses dont je me souviens encore, et lui aussi, probablement. Il s'est relevé, s'est retourné dignement, a regardé le maître, puis est reparti à sa place, sans rien dire, sans bouder, comme si rien ne s'était passé. Le maître n'a rien dit non plus, et nous avons continué notre exercice, en ayant du mal à ne pas rire.

Longtemps, à mon grand regret, le p'tit gars a préféré les jeux entre garçons, s'intéressant à peine à moi qui m'arrangeais toujours pour être assise pas loin de lui en classe. Puis comme, au village, les classes - il y en avait seulement deux - étaient mixtes, et que filles et garçons se côtoyaient depuis toujours, il a commencé à regarder un peu plus les filles quand nous avons grandi et avons changé de classe pour aller dans celle des grands.

J'étais jalouse : je le voulais qu'à moi, ce rebelle ! et pas question de le laisser trop approcher par les autres filles ! Alors, j'ai tout fait pour qu'il ne s'intéresse qu'à moi, saisissant le moindre prétexte pour me rapprocher de lui, pendant les récrés comme hors de l'école, cherchant toutes les occasions pour l'accaparer et l'éloigner des autres, surtout des copines qui auraient pu me le prendre. J'en étais même arrivée à redoubler d'efforts pour me faire bien voir en classe... mais avec une éternelle interrogation : « Arriverai-je à le dompter, ce p'tit gars ? »

 

Anaïs, Septembre 2008

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