Je vous dirai parfois ce que la mémé Naïs me racontait, quand j'étais petite.
La mémé Naïs, c'était mon arrière-grand-mère. Elle est maintenant avec les petits oiseaux dans le ciel ! Elle vivait au village, dans la vieille maison avec mes grands-parents, les parents de ma mère. Je crois que, de tous ses arrière-petits-enfants, c'est moi qu'elle préférait, peut-être parce que je porte presque le même prénom qu'elle ? Et elle me racontait plein de choses que j'écoutais, les oreilles grandes ouvertes et buvant ses paroles !
Elle parlait presque tout le temps en patois, mémé Naïs. Le français, c'était juste un peu, quand elle avait la visite de quelqu'un de la ville, comme un colporteur à qui elle achetait quelques bobines de fil, quelques pelotes de laine ou un coupon de tissu pour faire un tablier. Avec moi, elle mélangeait souvent les deux, comme si elle avait peur que je ne la comprenne pas. Pourtant, moi aussi, je parlais patois depuis toute petite... même si à l'école, c'était en français qu'il fallait s'exprimer.
Elle passait presque toute la journée sur son fauteuil, au moins aussi vieux qu'elle, l'hiver près du fourneau et l'été sous la fenêtre. Quand je n'allais pas à l'école, je venais souvent la voir pour me faire câliner : elle me prenait sur ses genoux et me racontait sa jeunesse en caressant mes cheveux. Elle avait trois poils au menton qui me piquaient la joue quand elle m'embrassait, mais c'était si bon !
Elle avait les mains toutes déformées par les rhumatismes, avec la peau toute fine qui brillait et parfois des petits bleus. Son dos était courbé par l'âge et tout ce qu'elle avait enduré pendant toutes ces années. Elle ne voyait plus très bien, mais avait encore l'ouïe fine ; elle marchait avec peine en s'aidant de sa canne. Mais elle ne se plaignait jamais !
Sa canne, l'arrière-grand-père la lui avait faite quand ils étaient jeunes, pour les promenades qu'ils faisaient ensemble dans les bois, en amoureux, et qu'ils allaient ramasser les champignons ou cueillir du houx à la Noël. C'était un long bâton de buis qu'il était allé couper dans la colline, juste à côté du village. Il l'avait choisi avec soin, avait pris de la peine pour l'écorcer et le polir avec amour, puis le lui avait offert comme si c'eût été une pierre précieuse ! Je n'ai pas eu le bonheur de le connaître, l'arrière-grand-père : il était mort à la guerre, il y avait bien longtemps. Quand mémé Naïs avait commencé à être bien courbée, il avait fallu raccourcir la canne, mais pas question de la remplacer par une neuve, elle y tenait bien trop à celle-ci !
Tous les matins - je la voyais faire, quand j'avais le bonheur de dormir dans sa chambre, sur un matelas qu'on posait par terre dans le coin de la pièce - elle peignait ses longs cheveux gris, presque blancs, et s'en faisait un chignon. Le soir, avant de se coucher, elle recommençait patiemment son brossage et tressait ses cheveux pour la nuit. Elle ronflait, mémé Naïs, mais j'étais si heureuse de dormir chez elle !
Pendant que les autres étaient occupés dehors et que la soupe cuisait doucement dans le chaudron, sur la cuisinière à bois en fonte qu'on n'éteignait jamais, elle m'envoyait chercher la boîte où elle conservait précieusement quelques photos d'avant. Oh, bien sûr, des photos, on n'en faisait pas souvent à son époque, juste lors de grands événements : les communions, les mariages.
Les hommes de la famille se faisaient photographier en militaire et envoyaient la carte postale pour donner de leurs nouvelles. Il y en avait même une de l'arrière-grand-père sur le cheval du Colonel : qu'il paraissait fier dans son bel uniforme ! Il le disait d'ailleurs au dos de la photo.
Alors, mémé Naïs prenait ses lunettes dans le fond de sa poche, les essuyait à son tablier, choisissait une photo et me racontait...
© Anaïs de F. — mai 2008